La civilisation du cocon de Vincent Cocquebert
Depuis maintenant plusieurs années, l'avenir est décrit de manière pessimiste, et ce notamment par les collapsologues. J'exagère peut-être, mais l'idée est là ; nous sommes de plus en plus inquiets pour notre avenir (et aussi par le présent) ... Vincent Cocquebert (essayiste et journaliste) estime que, étant donné que nous perdons le contrôle de notre environnement, il nous est confortable de retrouver un semblant de contrôle sur nos vies à travers le « cocooning », c'est-à-dire le repli sur soi. Bien entendu, le monde est objectivement plus sûr qu'avant. Mais la crainte, elle, est d'autant plus présente ; notre zone de confort rétrécie proportionnellement à mesure que le monde gagne en sureté. Dans ce court livre (moins théorique que factuel), le journaliste décide donc d'étudier de près cette tendance de repli sur soi et d'exposer ses effets négatifs sur le monde social.
Depuis les penseurs de l'Etat et du contrat social (cf. Hobbes, Rousseau, etc.), le sentiment de sécurité serait passé de la promesse divine d'un paradis après la vie à une assurance matérialiste de l'Etat. L'assurance de ce sentiment de sécurité ne serait plus (seulement) spirituelle mais également matérielle ; l'angoisse du risque n'est plus vraiment amoindrie par la promesse d'un au-delà mais par la promesse d'un Etat sûr. Le risque doit donc être traité ici-bas. Le journaliste observe tout de même que le capitalisme se présentait néanmoins comme source du désir du risque ; prendre des risques à travers l'investissement permet l'innovation et donc le progrès, la croissance... De plus, avec la monté en puissance de l'individualisme, le risque se présentait comme une solution au désir de laisser son empreinte, laisser sa trace... Mais l'image de l'aventurier s'aventurant dans l'inconnu mise en valeur disparaît peu à peu pour laisser place à celle du super-héro, protecteur du chez soi contre le risque qui vient d'ailleurs.
En fin de compte, avec l'individualisme, la peur du risque a connu une individualisation (ce n'est plus l'Etat, le corps social, qui a peur du risque, mais les individus). Vient alors le besoin du safe space, un endroit où il n'y a aucun risque. Le problème de cette notion, c'est que sa définition est « insaisissable ». En fait, un safe space peut être créé pour échapper à différentes menaces, qu'elles soient profondément implicites ou bien clairement explicites. Par exemple, pour échapper au terrorisme, ou encore à toutes formes de racisme... Et parce que sa définition est subjective (nous n'avons pas tous peur des mêmes choses), due à l' « hyper-individualisation » comme le rapporte le journaliste, « le safe space de l'un est potentiellement un danger pour le safe space de l'autre ». Exemple clair : le safe space d'un homophobe (endroit sans homosexuels) représente un danger pour celui d'un homosexuel. C'est pourquoi le safe space constitue de plus en plus un repli sur soi dans un monde où il gagne en popularité ; parce que l'individualisme crée de la différence entre les personnes et leurs peurs peuvent davantage diverger. Avec le confinement (quasi-mondial), le safe space individuel s'est généralisé tout comme, note l'auteur, la démarche de lutter pour un changement social. « Mais ces deux pôles [l'un étant le safe space et l'autre la lutte sociale] se font écho, voire s'entrecroisent, à travers la mobilisation - parfois consciente, parfois non - de trois stratégies : se regrouper, se recentrer et fuir. »
La première consiste, d'après Vincent Cocquebert, à créer une communication, une relation, un lien entre ceux qui partagent les mêmes peurs que soi. Se regrouper permet de construire son identité socialement (ex : regroupement de végétariens/vegans, féministes, conservateurs, etc.). Ces safe spaces forment en quelque sortedes communautés (virtuellement ou bien réellement), aussi appelées same spaces, où les individus partageant des points communs se retrouvent pour s'éloigner de ce qu'ils considèrent comme dangereux. Mais, il fallait s'y attendre, l'apparition de communautés entraîne par la même occasion la formation de frontières entre-elles, isolant ainsi des groupes d'individus d'un même quartier, d'une même ville, d'un même pays, etc. Ainsi, l'idée est de se regrouper pour être entouré uniquement de ce qui nous ressemble, de ce qui nous convient...
Ensuite, se recentrer correspond au fait de retrouver son safe space, son cocon intérieur... afin de se sentir protégé par notre petite bulle, intime et réconfortante, de tous ce qui nous est étranger (et ce jusqu'à ce que le safe space puisse justifier une forme de xénophobie). Le journaliste va jusqu'à évoquer la fin de l'exogamie en amour (aimer ce qui est différent de nous) ... Les risques de la vie sociale sont, d'après lui, de plus en plus redoutés.
Enfin, fuir, c'est ignorer la réalité et préférer une fiction que l'on se crée (ou que l'on adopte) afin de fuir la brutalité des événements, leur incompréhensibilité... afin de se rassurer dans des « cocons psychiques ». Ce mouvement de fuite s'observe également, d'après Cocquebert, dans le phénomène de cancel culture (où ce qui n'est pas admis moralement est supprimé pour être oublié de la mémoire collective, créant ainsi une société vierge de toutes violences).
Arrivé à la troisième et dernière partie du livre journalistique, l'auteur met en avant un certain phénomène de solitude angoissante émergeant des safe spaces ; un mal être qui naît de ce désir excessif de contrôle sur nos vies. Parce que, dans l'absolu, le risque ne peut être entièrement éradiqué, courir vers son safe space pour fuir le risque n'est que le début d'une obsession sans fin où l'angoisse du risque prend de plus en plus de place. Peut-être que l'auteur cherche à nous faire comprendre que nous ne devons ni fuir ni combattre le risque social pour s'en débarrasser, mais plutôt l'accepter et vivre avec. Ce refus de jouer le jeu de la société s'observe également au Japon avec les hikikomori (personnes qui s'auto-confinent pour se couper du monde social, pour ne pas avoir de vie sociale). Et sans joueurs, la machine sociétale tombe en panne, ce qui paraît être d'après le psychiatre Serge Tisseron l'effet « d'une certaine crise sociale et morale. » Cette paranoïa du risque serait donc une cause de cette crise ; l'imaginaire des individus paranos et apeurés engrainerait les formes de séparatisme (cf. regroupements) que l'on peut observer de nos jours.
D'un point de vue plus individuel, « poussé à son paroxysme, la civilisation du cocon entreprend donc d'apaiser de façon artificielle des sentiments bien réels, comme le deuil » ou encore la peur. En fait, rester dans son cocon revient à laisser la société s'effondrer (parce que sans son aspect social, sans la convergence d'une multitude de différences, sans le risque social de tous les jours qui émane des contacts entre les individus, la société ne saurait se maintenir...).
Pour conclure, l'auteur propose un point de vue quelque peu alarmant : « s'y dessine le tableau d'un paysage national assombri et composé d'individus qui ont en grande majorité le sentiment de vivre dans un pays en déclin et demandant toujours plus de protection et d'autorité », et ce même si le risque ne gagne pas en puissance. L'idée n'est pas vraiment d'épouser le goût du risque mais, d'après lui, d'arrêter ce phénomène de repli sur soi qui (manifestement) ne promet à long terme rien de bon.
Ps : Quelque chose à rajouter ? => rodolphegrenier78@gmail.com